sabotage
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La grève à l’aéroport de Bruxelles est terminée. Pendant cinq jours des vacances d’automne belges, les bagagistes d’Aviapartner ont arrêté le travail. Que les mass média mettraient l’accent sur les désagréments des voyageurs et sur la «dégradation de la réputation de l’aéroport et de notre pays » était à prévoir. Mais au moins un journal flamand parlait également d’insinuations sur « un manque d’éthique du travail » chez les travailleurs, illustrées par le fait que la direction avait appelé un huissier pour faire constater du sabotage présumé. Bien que le passage soit formulé avec beaucoup de réserves, il y a là néanmoins cette relation entre sabotage et manque d’éthique du travail.
Je ne vais pas me concentrer maintenant sur cette question d’éthique du travail (qui définit cette éthique, comment, pour qui ?) ; ce qui m’intéresse ici est le sabotage. Le sabotage est évidemment un ancien moyen de lutte – même si ceux qui y recouraient ne l’appelaient pas ainsi. Selon la légende, le mot trouverait son origine dans les sabots que les tisserands, au début du 19ème siècle, auraient jeté dans les machines pour, ben oui, saboter la production industrielle de tissues. En octobre 1916 Industrial Workers of the World à Cleveland publia une brochure qui étaya l’utilisation de sabotage dans la lutte sociale. La jeune militante Elizabeth Gurley Flynn donna à son texte un titre qui clarifia déjà une partie du contenu : ‘Sabotage – The Conscious Withdrawal of the Workers’ Industrial Efficiency’ – le sabotage comme la technique de saper volontairement le rendement industriel de l’ouvrier. Plus tard, IWW ajouta à la publication une formule d’exclusion de responsabilité (disclaimer): “The following document is presented for historical purposes and in the interest of the freedom of speech. The IWW takes no official position on sabotage (i.e. the IWW neither condones nor condemns such actions). Workers who engage in some of the following forms of sabotage risk legal sanctions.” (Voir aussi http://durieux.eu/blog/black-cat)
L'occasion de l’intervention de Flynn était justement une grève de travailleurs du textile en New Jersey. Un des meneurs de grève avait été condamné pour avoir lancé des appels au sabotage. Flynn avait l’intention de démontrer que le sabotage est un moyen de lutte absolument légitime pour les ouvriers de l’industrie – et que d’ailleurs il ne s’agit pas exclusivement d’une pratique de lutte des travailleurs, les patrons et les propriétaires en faisant également usage lorsque cela leur convient.
Son point de départ est que, si les travailleurs veulent atteindre une amélioration de leur condition, il serait naïf de leur part de compter sur la justice ou la sympathie des patrons ; le facteur déterminant seront les rapports de force. Dans ce contexte, le sabotage n’est qu’un des outils disponibles dans la lutte pour le pouvoir entre travail et capital. “Sabotage is to this class struggle what the guerrilla warfare is to the battle. The strike is the open battle of the class struggle, sabotage is the guerrilla warfare, the day-by-day warfare between two opposing classes.”
La conception de Flynn à propos du sabotage est claire : il ne s’agit aucunement de violence physique, mais purement d’un processus industriel destiné à porter atteinte au profits du propriétaire, et ceci en affectant la quantité de la production, ou la qualité, ou le service au public. En ce sens, le sabotage n’est d’ailleurs pas une pratique unidirectionnelle. Des propriétaires et des patrons aussi sapent consciemment la qualité optimale des produits, manipulent la quantité sur le marché et diminuent le service au public, tout cela afin d’accroître leurs bénéfices. Aviapartner en donne un parfait exemple. Un des propriétaires est le venture capital fund britannique HIG. Ces « fonds de capital-risque éligibles » sont sollicités par les actionnaires pour réduire à court terme les coûts d’exploitation de leur entreprise (licencier des employés, fermer des unités, arrêter l’entretien des machines) et pour ensuite vendre ce qui en reste avec un maximum de profit. Ce n’est pas par hasard qu’une des plaintes majeures du personnel d’Aviapartner concernait le matériel désuet et délabré dont ils doivent se servir.
Dans sa brochure Elizabeth Gurly Flynn donne plusieurs exemples historiques d’actes de sabotage et des issues auxquelles ceux-ci ont débouché pour les travailleurs concernés. De nos jours certaines de ces histoires auront l’air plutôt naïf, d’autres sont vraiment hilarantes (par exemple les actions du personnel de restauration à New York, qui d’une part renseignaient le public sur les conditions hygiéniques et de travail dans les cuisines d’hôtels, et d’autre part modifiaient des repas avec de simples astuces, comme l’ajout de sel ou de poivre. And I found that that was one of the most effective ways of reaching the public, because the "dear public" are never reached through sympathy.) Pour Flynn l’exemple de la restauration sert également à montrer comment les intérêts des travailleurs et ceux du public peuvent se rejoindre. Rendre inutilisables des produits mauvais, dégoûtants, inadéquats, dangereux est assez souvent aussi dans l’intérêt des personnes qui autrement les auraient employés dans l’ignorance. Ce raisonnement vaut d’ailleurs également pour des actions contemporaines des services publics. Oui, des actions dans le transport en commun peuvent déranger les voyageurs, mais au fond, ne préféreriez-vous pas vous déplacer en sécurité, avec du matériel propre et solide, par des personnes attentives et non surmenées ?
Tout ceci mène Flynn vers une des variations de sabotage des plus efficaces et simplement légales, following the book of rules, ou bien la grève du zèle. Jadis j’écrivis dans un plaidoyer pour une approche générale et sage de tolérance : “Het heeft weinig zin het handhaven van (rechts)regels te beschouwen als een doel op zich. Geen enkele overheid, zelfs niet de meest totalitaire, slaagt er in totale handhaving (of zero tolerance) te organiseren. Vanuit pragmatisch oogpunt is dat trouwens ook niet wenselijk. Politicoloog Herman van Gunsteren illustreert dat met een voorbeeld uit het bedrijfsleven: “Strikte handhaving heeft rigiditeit tot gevolg. Werknemers zullen zich gaan indekken en niets meer doen, uit vrees voor represailles. Dat werkt kadaverdiscipline in de hand. Wie zweert bij complete handhaving, pleit voor een doorlopende stiptheidsactie. Dat breekt een organisatie.” Inderdaad, niet voor niks is sinds jaar en dag één van de actiemiddelen van de arbeidersbeweging de stiptheidsactie: het werk wel uitvoeren, maar met strikte inachtneming van de regels.” Très souvent ces règles ont été établies avec les meilleures intentions, donc chaque fois de nouveau il faut résoudre le dilemme entre la lettre ou l’esprit, mais Where men fail in the open battle they go back and with this system they win, dit Flynn.
A la fin de son texte, elle aborde encore les questions morales du sabotage. A ceux qui disent qu’il est immoral de détruire « sa propre production » ou que le sabotage est une pratique lâche et sournoise, elle répond : comment ça, sa propre production ? Tout au plus il s’agit de biens ou de services produits dans des conditions d’esclavage salarial pour la jouissance d’autres personnes, qui elles peuvent se les procurer. Et lâche ou sournois ? Il serait beaucoup plus aisé et moins dangereux de ne pas recourir au sabotage. Le sabotage n’est pas une affaire individuelle ; il est dans l’intérêt d’un grand nombre. Le sabotage requiert du courage et du caractère ; par une telle action le travailleur (that workingman) crée le respect de soi et la confiance dans son rôle de producteur.
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